Bernard 
Le narcotrafic submerge l’Union européenne
Depuis une dizaine d’années, un constat s’impose : le territoire européen est devenu l’un des épicentres du trafic mondial de cocaïne. Principaux points d’entrée des marchandises illicites : les deux grands ports de la façade nord du continent, Rotterdam et Anvers. Ce documentaire en deux volets remonte aux origines du narcotrafic européen à travers l’histoire singulière des Pays-Bas. Depuis quatre siècles, le « génie » hollandais associe esprit d’entreprise et efficacité logistique, même dans le contrôle international des drogues.
Pour comprendre pourquoi les Pays-Bas, pays réputés pour sa tolérance et stabilité, sont devenus le cœur battant du narcotrafic, il faut replonger dans son histoire. Tout commence en 1581, avec la création de la République des Provinces-Unies. A cette époque, les Néerlandais établissent des colonies sur plusieurs continents. Au-delà d’une simple possession de territoires, il s’agit aussi de commerce. Épices, tabac, sucre, cacao, café, … les marchandises coloniales sont achetées, transformées et revendues en Europe à des prix forts, jetant ainsi les bases d’un capitalisme moderne. La VOC, leur flotte commerciale, devient l’une des plus importantes, et Rotterdam un des plus puissants ports du monde.
Au XVIIᵉ siècle, les Pays-Bas mêlent commerce et passion pour la botanique. Le marché des plantes ornementales explose dans toute l’Europe, et la tulipe devient un véritable phénomène. Une bourse se développe pour réguler ce commerce, mais la bulle spéculative éclate, marquant le premier krach financier de l’histoire. Les négociants hollandais se tournent alors vers de nouvelles opportunités, comme le pavot. Au XIXᵉ siècle, le gouvernement néerlandais reprend le contrôle du commerce de l’opium. Le pays se retrouve face à un dilemme toujours d’actualité : concilier santé publique et intérêts économiques.
Au début des années 1900, la morphine, l’héroïne et la cocaïne étaient en vente libre. Ces produits issus de l’industrie pharmaceutique étaient perçus comme modernes et presque magiques. Pendant la Première Guerre mondiale, profitant de leur neutralité, les Pays-Bas fournissent 120 tonnes de cocaïne aux armées anglaise et allemande, devenant acteur majeur du marché mondial.
Mais après la guerre, avec la création de la Société des Nations, les Etats sont contraints de signer l’ « Opium Act », qui interdit l’accès aux stupéfiants sans prescription médicale. Cette mesure entraîne des conséquences inattendues : les consommateurs qui sont devenus dépendants se retrouvent privés de produits et se tournent alors vers le marché clandestin. C’est la naissance du trafic de drogues. Une usine pharmaceutique d’Amsterdam est au cœur de ce réseau international, faisant de l’illégal avec le légal et devenant pionnière dans ce trafic.
Dans les années 1960 et 1970, la contre-culture et l’ouverture des coffee shops consacrent Amsterdam comme capitale européenne du cannabis, mais ouvrent aussi une brèche au crime organisé. La fameuse « porte de derrière », qui permet l’approvisionnement clandestin des coffee shops, devient l’entrée principale du narcotrafic moderne. Dans les années 1980, le Rif marocain se transforme en grenier à cannabis de l’Europe. Les filières suivent les routes migratoires vers Amsterdam. Bientôt, une nouvelle génération de trafiquants s’impose, mélangeant commerce, violence et blanchiment.
Les années 1990 marquent ensuite une nouvelle étape : la production massive d’ecstasy et l’invention du cannabis indoor, transformant les Pays-Bas en producteurs mondiaux. L’argent de la drogue s’infiltre alors dans l’économie légale, jusqu’aux cercles les plus prestigieux. Au début des années 2000, une nouvelle génération prend le pouvoir : la «Mocro Maffia» impose sa loi. Alliée à des cartels internationaux, elle fait basculer l’Europe dans une ère où la drogue, la violence et la corruption s’entremêlent. Les Pays-Bas deviennent le hub européen de la poudre blanche et le théâtre d’une violence sans précédent qui menace aujourd’hui la sécurité intérieure des États.
Des premières brigades antidrogues aux Pays-Bas dans les années 1920 jusqu’aux cellules high-tech capables aujourd’hui de décrypter les messageries des trafiquants, ce film démontre, sous forme d’enquête, comment le narcotrafic n’est pas seulement un problème de sécurité : il mine les institutions, gangrène l’économie et questionne la capacité des démocraties européennes à résister face à des empires clandestins qui n’ont jamais été aussi puissants.
Réalisation : Christophe Bouquet et Mathieu Verboud – Production : Yami 2 / ARTE France / RTBF / Naoko Films / Umedia
Date de diffusion : 6 octobre 2025 à 20h30 sur La Trois RTBF
