Avec l’arrivée du printemps, trois nouvelles expositions temporaires nous sont proposées, à Roubaix, au sein du « Musée d’Art et d’Industrie André Diligent », plus connu sur nom de « La Piscine ».
*** « Rodin /Bourdelle. Corps à Corps » :
« Et voilà l’oeuvre de Rodin. Un chef d’oeuvre de lui c’est des instants éternisés où les heures se font profondes », écrivit Antoine Bourdelle, dans « L’Art et Rodin » (1918) & « L’Eventail » (1919) (Catalogue/p. 16).
« Bourdelle est un de ces hommes et de ces artistes dont l’on doit parler. C’est un éclaireur de l’avenir », écrivit, en 1909 , Auguste Rodin, dans « Collection d’Oeuvres du Sculpteur Emile A. Bourdelle » (Catalogue/p. 16).
« Les grandes oeuvres de l’antique sont quelquefois celles qui gardent toutes les traces de l’outil », écrivit, en 1910, Emile A. Bourdelle (Catalogue/p. 130).
« Par le livre d’art, par les collections, par les musées, l’art européen moderne bénéficie, comme par le passé et beaucoup plus, de l’art d’Extrême Orient et cet art, lui-même, acquiert beaucoup du nôtre », écrivit, dans le « Bulletin de la Vie artistique », en 1922, Emile A. Bourdelle (Catalogue/p. 133).
« J’avais vu votre tête de femme … J’étais allé à elle, qui m’appelait de très loin, je ne l’ai pas vue, je l’ai sentie », écrivit, en 1906, Emile A. Bourdelle à Auguste Rodin (Catalogue/p. 39).
« Ayant pénétré la leçon de Rodin, non ses gestes mais ses sources de science, on comprendra ma tenace recherche » (Emile A. Bourdelle à Elie Faure ((Catalogue/p. 202).
« Je ne connais pas de joie plus subtile et plus adorable que d’admirer Chavannes et vous. Voilà les deux artistes dont l’oeuvre a fait battre mon coeur », écrivit, en 1908, Emile A. Bourdelle à Auguste Rodin (Catalogue/p. 136).
« J’ai rapporté du Midi de belles antiquités … Une chose qui vous intéressera, c’est un tabernacle, tout en bois doré. Je le crois de la fin Louis XIV« , écrivit, en 1897,Emile A. Bourdelle à Auguste Rodin (Catalogue/p. 131).
Avec « Rodin-Bourdelle. Corps à Corps », voici une exposition à découvrir – jusqu’au dimanche 01 juin – pour tous les amateurs de sculptures, confrontant de superbes oeuvres d’Auguste Rodin (1840-1917) et de celui qui fut son assistant, Emile A. Bourdelle (Antoine Bourdelle/1861-1929), ce dernier, âgé de 31 ans, ayant été engagé, en 1893, par Rodin, alors âgé de 51 ans, l’écart d’âges entre les deux sculpteurs étant donc de 20 ans.
Quatre sections thématiques compose le parcours : « L’Âme du Matériau », « L’Esthétique du Fragment », « Le Monument(al) » & « Hybridations et Métamorphose ».

« Portrait d’Auguste Rodin » (Antoine Bourdelle/vers 1910/bronze) © « Musée Bourdelle »
La présente exposition s’ouvre sur un imposant buste d’Auguste Rodin, réalisé par un Antoine Bourdelle admiratif . « Ce buste de Dieu avec des cornes et une barbe, faisant référence au ‘Moïse’, de Michel-Ange , n’est pas une caricature de l’artiste, mais plutôt un hommage », nous expliqua Lili Davenas, conservatrice du « Musée Bourdelle », à Paris.

« Adam » (Auguste Rodin/1880/bronze) © « Musée Rodin »
Rassemblant plus de 170 œuvres (archives, dessins, photographies & sculptures), ce face à face entre deux grands maîtres de la sculpture est l’occasion unique de traverser presque cinquante années de création commune ou croisée, mais aussi d’en découvrir la postérité chez des artistes, qui, de Chana Orloff (1888-1968) à Ossip Zadkine (1888-1967), en passant par Germaine Richier (1902-1959), initieront, après eux, un autre chapitre dans l’histoire de la sculpture moderne.

« Ève au Rocher » (Rodin & Bourdelle/1893-1906/pierre calcaire) © « Musée Bourdelle »
Adèle Taillefait, la nouvelle conservatrice du « Musée La Piscine », nous confia : « Si Auguste Rodin se distingue par une expressivité saisissante dans le travail des formes, mettant en avant la vitalité des muscles et la sensualité de la chair, Antoine Bourdelle, quant à lui, privilégie une approche fondée sur la structure, la dynamique des lignes et l’équilibre des compositions. Cherchant à inscrire la sculpture dans une nouvelle dimension architecturale, ce dernier opta pour une épuration des volumes, marquant ainsi une évolution vers une esthétique plus synthétique et monumentale. »
Dans la préface du catalogue (p. 8), Brigitte Barèges, maire de Montauban, ajouta : « Enfant, aucun des deux, n’est doué pour les études et, chacun, grâce à la finesse de maîtres intuitifs va pouvoir donner libre cours à sa vocation. A treize ans, Bourdelle, dessinateur assidu, réalise ses premières sculptures en bois. Au même âge, Rodin, qui dessine déjà, découvre la terre glaise et le moulage. »

« Main désespérée » (Antoine Bourdelle/vers 1900) © « Musée Bourdelle » © Photo : JLRF
Soulignons la présence expressive d’une série de mains, certaines réalisées en marbre, comme « La Main de Dieu » (1898-1902), d’Auguste Rodin, d’autres fondues en bronze, comme la « Main désespérée » (1900) d’Antoine Bourdelle.
« Les mains modelées par Rodin et Bourdelle sont d’une telle force expressive que certaines peuvent devenir autonomes. La main est un sujet privilégié de la sculpture rodinienne, la thématique du fragment étant étant fondamentale à bien des égards chez Rodin, le ‘créateur conscient de cette forme d’art’ » … « Dans le ‘Monument aux Bourgeois de Calais’, de Rodin (1885-1889), comme dans celui aux ‘Combattants du Tarn-et-Garonne’, de Bourdelle (1898-1902), les mains sont loin d’être des passages obligés de la représentation d’un corps complet : elles achèvent les figures en leur donnant toute leur signification » (Chloé Ariot/catalogue/p. 75).
Une salle de l’expo est consacrée à un autre élément du corps, des plus importants : le torse, Auguste Rodin ayant confié à l’écrivain français Paul Gsell (1870-1947) : « Il importe de se rappeler que le premier commandement … est de savoir bien modeler … un torse« (Jérôme Godeau/ catalogue/p. 87).

« Torse de l’Ombre » (Auguste Rodin/1902/plâtre) © « Musée Rodin »
Ainsi, nous pouvons admirer le « Grand Torse de l’Homme qui marche » (bronze/vers 1906), le « Torse de l’Ombre » (plâtre/1902), le « Torse de Jeune Femme cambrée » (plâtre/1909), …, d’Auguste Rodin, mis en relation avec le « Torse du grand Guerrier » (bronze/1901), le « Torse de Pallas » (marbre/1905), le « Torse de l’Urne » (plâtre/1927-1929), …, d’Antoine Bourdelle, ainsi qu’avec des torses créés par d’autres sculpteurs, dont ceux de l’artiste français d’origine biélorusse Ossip Zadkine (Yossel Aronovitch Tsadkine/1888-1967), dont le « Torse d’Ephèbe » (bois d’acacia/1922) nous est présenté.

« Buste du Centaure mourant » (Antoine Bourdelle/1914/plâtre) © « Musée Bourdelle »
« N’imaginaient-ils point qu’un artiste doit s’appliquer à donner autant d’expression à une main, à un torse, qu’à une physionomie ? … L’expression et la proportion, le but est là », écrivit Auguste Rodin.
Aquarelles et dessins de ces deux artistes ne sont pas oubliés, Antoine Bourdelle ayant écrit, en 1902, à François Roussel-Despierres : « Il (Rodin) m’a donné un de ses dessins contre de la sculpture de moi. Je n’aurais jamais osé espérer qu’il voulut avoir, dans son admirable ‘Musée de Meudon’ de mes plâtres. j’y suis très sensible. »

« Apollon » (Bourdelle/1900/masque en plâtre)
Les masques ne sont pas oubliés, tel « Apollon » (1900/plâtre), d’Antoine Bourdelle, une oeuvre qui fut critiquée par Auguste Rodin, l’art d’Extrême Orient étant aussi abordé, notamment avec, venu du Japon , un masque Nô.
Cet « Apollon » fit donc partie des tensions qui apparurent entre les deux sculpteurs, Antoine Bourdelle ayant écrit, en 1908 : « J’ai en ce moment beaucoup de travaux. Je n’ai plus besoin de travailler pour Rodin. Je vends beaucoup », une de ses créations ayant été rejetée par Auguste Rodin.
Néanmoins, deux ans plus tôt, en 1906, Antoine Bourdelle écrivait encore à Auguste Rodin : « Je ne sais pas si vous êtes homme ou Dieu. Je ne sais que ceci. Quand je serre votre main, je fais toujours attention parce qu’elle a dedans elle l’Âge d’airain, Hugo, Le Penseur amer, La Porte d’Enfer, et toute une forêt humaine mais fille de votre être créateur. J’ai pour vous Maître la même amitié que j’ai pour les jours lumineux, pour un grand chêne empli de nids et de chants pour les Forces naturelles. J’ai toujours vu derrière vos regards ma personne invisible à tous mais visible à votre esprit comme votre être caché est visible au mien, puisque vous me faites l’amitié de me nommer de lamême famille que vous » (catalogue /p. 272).
De cette superbe exposition, nous retiendrons, comme l’écrit Anne Hidalgo, maire de Paris : « De l’art de Rodin à l’art de Bourdelle, de l’expressionisme du modelé à la radicalité à la radicalité d’un travail ‘net, dépouillé, sans nuance’ de la logique du fragment à la volonté d’épure d’une construction qui ouvre la voie à l’abstraction, c’est toute la sculpture moderne qui se joue sous nos yeux » (catalogue/p. 5).
« La confrontation de ces deux sculpteurs majeurs donne à voir des fraternités et réciprocités comme les divergences et antagonismes de deux univers porteurs des enjeux exclusifs de la sculpture moderne » (catalogue/4è page de couverture).
Catalogue (Ed. « Paris Musées-Musée Bourdelle »/sous la direction d’Ophélie Ferlier Bouat & Jérôme Godeau/2025 /cartonné, 272 p.) : 42€.
A noter que la présente exposition sera présentée, du 27 juin jusqu’au 19 octobre, au « Musée Ingres-Bourdelle », à Montauban, une ville dont le « Le Monument aux Combattants et Défenseurs du Tarn-et-Garonne de 1870-1871 » fut réalisé, en 1902, par Antoine Bourdelle.
*** « Elsa Sahal. Pool Dance » :
« J’ai adopté la terre tout de suite parce que c’est un matériau domestique, non autoritaire ; je n’aime pas la virtuosité technique, la séduction qu’elle exerce, la fascination de la maîtrise, qui freine la liberté. Le corps est inséparable de ce matériau. Comme si la terre était déjà du corps.», écrit l’artiste plasticienne française Elsa Sahal .
Diplômée de l’ « Ecole des Beaux-Arts », à Paris, Elsa Sahal (°Bagnolet/1975), incarne le renouveau de la sculpture en céramique. Elève de Georges Jeanclos (1933-1997), elle s’initia à ses côtés au modelage de la terre, puis fréquenta l’atelier du sculpteur suédois Erik Dietman (1937-2002), qui lui enseigna que l’art peut mêler liberté d’expression et humour.
Initiée en 2015, la série des « Pole Dance » s’inspire des poses lascives et tournoyantes des adeptes de cette discipline aérienne autour d’une barre, mais aussi de l’observation des esquisses du sculpteur Auguste Rodin, qui, entre 1903 et 1912, réalisa une série de quatorze dessins et modelages en terre cuite de la danseuse et acrobate espagnole Alda Moreno.
En parfaite résonance avec l’exposition « Rodin/Bourdelle. Corps à Corps », les formes intimes et organiques d’Elsa Sahal nous sont présentées dans l’écrin des anciennes cabines de bain, ainsi qu’à l’étage et, cerise sur le gâteau, l’une d’elle, impressionnante, haute de plus de trois mètres, émerge de la surface d’eau, témoignant que ce musée fut une piscine, édifiée, en 1922, sous la conduite de l’architecte français Albert Baert (1863-1951).

« Fontaine » © Elsa Sahal © « La Piscine » © Ph. : Sarah Crew/« The Bulletin »
A noter que cette sculpture rose, créée en 2012, sobrement titrée « Fontaine », fut installée, à Paris, dans les bassins du « Jardin des Tuileries » . Clin d’œil à une oeuvre éponyme du plasticien français Marcel Duchamp (1887-1968), cette fontaine se caractérise par deux robustes piliers, en grès, constellés de coquillages, qui sont surmontés d’une frêle paire de jambes, ces dernières dévoilant un sexe féminin, dont jaillit, fièrement, un jet d’eau.
En choisissant de se consacrer à cette technique, matériau idéal pour qui aime les métamorphoses, le thème du corps revient avec constance dans son parcours créatif. Dans cette exploration intime et organique de l’anatomie des deux sexes, fesses, jambes, seins, formes phalliques sont autant d’excroissances disjointes, qui associent dans une grande liberté figurative, éléments tournés aux parties modelées. L’histoire de la sculpture du XXè siècle a toujours nourri le travail d’Elsa Sahal.
Présentée dans l’écrin des cabines du musée, la sculpture décomplexée d’Elsa Sahal ne pouvait qu’entrer en parfaite résonance avec l’exposition « Rodin/Bourdelle. Corps à Corps ».
*** « Sens dessus dessous », jusqu’au dimanche 08 juin :
Cette affiche nous présente un don, en 2016, des « 3 Suisses », une création de la styliste française Lolita Lempicka : cardigan et robe, de l’automne-hiver 1998-1999, en dentelle de viscose, polyamide et élasthanne, jersey damassé de polyamide et d’élasthanne.
En n’oubliant pas que Roubaix fut réputée pour son industrie textile, à l’occasion de l’exposition des formes intimes et organiques réalisées par la céramiste Elsa Sahal, au premier étage, les cabines de mode de « La Piscine » se sont peuplées de nombre de tenues de jours et de soirées, de vêtements de dessus et de vêtements de dessous, parfois jugés scandaleux, au XVIIIè siècle, de la collection permanente du musée, illustrant les propos d’un écrivain français, Louis Antoine Caraccioli (1716-1803) : « Il y a souvent plus d’art dans le déshabillé que dans la grande parure ».
Quant à la commissaire scientifique, responsable de la collection « Mode » de « La Piscine », Amélie Boron, elle nous confia : « La confusion règne au fil des époques. Les textiles, les coupes, les palettes et les matières associées aux sous-vêtements glissent à la surface des corps et se jouent des codes moraux de la pudeur … Cela pose la question de la pudeur, de la frontière entre espace public et espace privé. L’inventivité n’est pas en reste. »
Les mannequins du musée nous présentent des créations, entre autres, de Jean-Paul Gaultier (°Bagneux /1952), Lolita Lempicka (Josiane Maryse Pividal/°Bordeaux/1954) & Angelo Tarlazzi (°Ascoli Piceno/ 1942).
Animation tout public : le mardi 29 avril, durant environ une demi-heure, un guide, dans le cadre de l’animation « Une heure, un Regard », nous aide à appréhender une oeuvre d’Elsa Sahal.
Animations jeunes publics : menées par des intervenants culturels qualifiés, les séances d’animations se déroulent sur 1h30 à 2h, selon l’âge des jeunes. Les classes sont admises dans leur effectif complet. Pour un confort d’écoute et un travail de qualité, deux animateurs encadrent chaque classes. L’ensemble des animations que nous propose « La Piscine » s’appuie sur leurs collections, l’observation, dans les salles, de certaines œuvres amenant une démarche créative au sein de l’atelier.
Brasserie-Restaurant « Méert » : ouvert du mardi au dimanche, de 12h à 18h. Réservations : 00.33.3/20.01.84.21. Dans le décor d’origine de la caféteria-buvette de l’ancienne piscine ou sur la terrasse, chacun pourra déguster des spécialités du Nord (blanquette de veau traditionnelle, carbonades flamandes, waterzooi de Gent, …), voire les réputées « gaufres Méert », fourrées au beurre, au sucre et à la vanille de Madagascar, créées en 1849, par Michael Paulus Gislenus Méert.
A la brasserie, gaufres à la vanille de Madagascar © « Méert »
Ouverture du musée : pour les deux premières expositions : jusqu’au dimanche 01 juin, pour la troisième : jusqu’au dimanche 08 juin, du mardi au jeudi, de 11h à 18h, le vendredi, de 11h à 20h (entrée gratuite de 18h à 20h), le samedi et le dimanche, de 13h à 18h. Fermeture : les jeudis 01 & 29 mai. Prix d’entrée : 11€ (9€, en prix réduit / 0€, pour les moins de 18 ans, étudiants en histoire de l’art, arts plastiques & d’architecture, ainsi que pour tous, les vendredis de 18h à 20h & toute la journée, le premier dimanche du mois). Audio-guides : 3€. Réservations groupes : 00.33.3/20.69.23.67. Contacts : 00.33.3/20.69.23.60 & lapiscine.musee@ville-roubaix.fr. Site web : https://www.roubaix-lapiscine.com/.
Pour votre programmation d’une ou plusieurs journée(s) à Roubaix, nous attirons votre attention sur le fait que les samedis et dimanches, « La Piscine » n’ouvre qu’à 13h, ce superbe musée étant fermé les jeudis 01 & 29 mai.
** Votre séjour à Roubaix peut se compléter d’une ou plusieurs expositions organisées dans le cadre de la 7è saison de « Lille 3000 », notamment, dans la Ville de Lille :
- au « Palais des Beaux-Arts » : « Fêtes et Célébrations flamandes, Brueghel, Rubens, Jordaens, … »
- au « Tripostal » : « Pom Pom Pidou, un Récit intéressant de l’Art moderne »
- au « Musée de l’Hospice Comtesse » : « The Distorted Party »
Site web : https://lille3000.com/.
** A tous les amateurs de sculptures, nous conseillons, également, la visite de l’exposition « Constantin Meunier. La Genèse d’une Image », accessible jusqu’au dimanche 07 septembre, à Namur, au « Musée provincial Félicien Rops ».
Site web : https://www.museerops.be/meunier#.
Yves Calbert.