Organisé par la société distributrice de films « Avila », à l’occasion des cent ans du réalisateur belge Jean Harlez (°Erquelinnes/31-12-1924), son film, « Le Chantier des Gosses » (Belgique/1956/76′), restauré, en 2014, 58 ans après sa sortie, sera projeté, en Avant-Première, à Bruxelles, au « Palace », ce mardi 08 juillet, à 19h, en présence de Jean Harlez, de son épouse et dialoguiste, Marcelle Dumont, ainsi que de l’acteur principal, Freddy Piette.
« Le Chantier des Gosses » (Jean Harlez ) © « Avila »
Synopsis : « Dans les rues étriquées du quartier des Marolles, le vrai refuge des enfants est un terrain vague. Un beau jour arrivent des hommes, en chapeau mou, qui examinent les lieux, déploient des papiers … Pour les enfants, c’est mauvais signe. La résistance s’organise alors … »
« Le Chantier des Gosses » (Jean Harlez ) © « Avila »
Ce long métrage est le fruit d’une collaboration unique avec les habitants du quartier des Marolles , se relevant des bombardements de la seconde guerre mondiale, nous offrant une précieuse fenêtre sur le Bruxelles des années 1950.
Jean Harlez, alors mécanicien de précision, commença seul le tournage, en 1954. Porté par un engagement social, il s’intéressa à la vie quotidienne de la classe ouvrière. Sans scénario complexe, ni tournage en studio, Jean Harlez filma simplement les habitants du quartier, dans leur environnement. Un jour de tournage, des géomètres arrivèrent sur le terrain, pour effectuer des mesures, devenant des personnages du film.
Les enfants étaient stupéfaits par ces nouveaux arrivants, qui les chassaient de leur lieu de vie, où, à l’époque, les habitants devaient se débrouiller sans électricité, ni toilettes, avec une seule pompe à eau dans toute la rue. Cette surprise des enfants se transforma rapidement en révolte : ils nommèrent un chef, fabriquèrent des lance-pierres, avec les bretelles de leurs pères et déclarèrent la guerre aux maîtres d’ouvrage et aux architectes … Cette bataille aussi absurde que poétique les plongea dans l’univers des enfants, le film adoptant leur point de vue, révélant leur mentalité, leurs conditions de vie, leur relation aux adultes. D’un acteur âgé de … 2 ans, jusqu’au plus « vieux », âgé de 14 ans, tous improvisèrent leur rôle avec brio.
« Le Chantier des Gosses » (Jean Harlez) © « Avila »
Pour peu, nous retrouvons l’ambiance de certains gags de « Quick & Flupke », créés en 1930, par « Hergé » (Georges Remi/1907-1983), ou celle des luttes entre deux groupes d’enfants, l’un des chefs étant le bien connu « Petit Gibus » (Martin Lartigue/°Saint-Tropez/1952), dans « La Guerre des Boutons » (France/1962/92′), réalisé par Yves Robert (1920-2002).
Mais revenons au long métrage de Jean Harlez, en signalant que, faute de financement, le son n’a été ajouté au film que 15 ans plus tard, les voix étant assurées par d’autres personnes que les acteurs figurant dans ce long-métrage.
Si la presse accueillit ce film avec enthousiasme lors de sa sortie, en 1958, les autorités belges n’autorisèrent pas sa projection sur le site de l’ « Expo 58 », estimant que ce film ne montrait que le côté pauvre de la Capitale belge, ce qui fit dire à Marcelle Dumont : “La Belgique préférait faire le plein de visiteurs à son Expo, et ce n’était pas opportun de montrer le revers de la médaille.”
1ère page de « Germinal », le 1er avril 1956
Une anecdote de tournage, confiée, en 1956, par Jean Harlez à Paul De Swaef, pour « Germinal » : « Un jour, huit de mes ‘acteurs’ exploraient ma jeep, de fond en comble, pendant que je travaillais à quelques pas. Soudain, j’entends des cris, des galopades. Ma bagnole descendait la rue toute seule. J’eus juste le temps de me précipiter, ces galopins avaient desserré le frein à main. »
« Le Chantier des Gosses » (Jean Harlez ) © « Avila »
… Et de poursuivre : « Parfois, ces enfants prennent vraiment leur rôle de vedettes très au sérieux et deviennent aussi intraitables que les vrais acteurs. Un autre jour, Francine, la pin-up du film (9 ans), nous signifia carrément qu’elle en avait assez, qu’elle se refusait à tourner une image de plus. C’est le moment que choisit la pluie pour tomber. Il fallut tout remballer en hâte et remettre le tournage au lendemain. »
Les responsables du « Ciné Nova », qui retrouvèrent ce film, laissé à l’abandon, s’occupèrent de sa restauration, écrivant, en 2014 : « En choisissant les Marolles comme ancrage et ses habitants comme acteurs, Jean Harlez a réalisé un film dans un quartier populaire, qui aurait tout aussi bien pu se dérouler à Anderlecht, Liège, Molenbeek ou dans les corons du Borinage ou de Charleroi. Ce n’est ni d’une œuvre à thèse, ni un film d’auteur pesant, ni une carte postale folklorique des Marolles. C’est une perle rare, mêlant les facéties enfantines à l’amertume du monde adulte , avec en prime une immense valeur d’archive … L’insoumission rebelle des garnements et les images saisissantes d’un Bruxelles disparu séduiront plus d’une spectatrice et d’un spectateur ! »
« Jean Harlez s’en va sillonner les rues des Marolles, pendant trois ans (1954-1956), s’attirant rapidement la sympathie des habitants et s’entourant d’une kyrielle d’enfants, qui deviennent peu à peu ses acteurs … Faire du cinéma en se mêlant à la vie, dans la rue, avec des gens de la rue. Jean Harlez montre la vie dans un quartier pauvre, que rien ne distinguera des autres quartiers pauvres du monde. »

Le cinéma qui permit la restauration du film/2014 © « Nova » © Ph. : Nicky Luppens
Signalons que « Le Chantier des Gosses », après sa restauration, en 2014, resta près de deux mois à l’affiche du « Ciné Nova ». Lors du lancement de la plateforme de distribution « Avila », cinq ans plus tard, le film, diffusé à la télévision, devient disponible en vidéo à la demande. Ayant acquis les droits, en 2023, aujourd’hui, « Avila », pour les 100 ans de Jean Harlez, le ressort en salles, tel que restauré, en 2014, en collaboration avec le « Palace », ce cinéma le programmant, dans cadre de son « Festival Sun Screens ». Au-delà de ce mardi 08 juillet, chaque semaine, entre le mercredi 09 juillet et le mardi 05 août, il sera projeté au « Palace », avant sa sortie en salles, en septembre, en Flandre et en Wallonie.
** Anciennes critiques de la Presse :
– par Marceau Verhaeghe, pour « Cinergie » : « C’est un Bruxelles disparu qui revit sous nos yeux, dans ses moindres détails . On est dans la vérité d’un mode de vie aujourd’hui disparu. »
– par Nicolas Crousse, pour « Le Soir » : « Un témoignage unique sur la mémoire de ce merveilleux Bruxelles populaire, peuplé d’artisans, de gramophones et de cerfs-volants. »
– par la Rédaction, pour « La Libre Belgique » : « Film historique, dans la mesure où l’Histoire la plus importante est celle des villes et des maisons où vivent les hommes, dans la mesure où l’Histoire la plus importante est notre passage de l’enfance à l’âge d’homme, des jeux inventés aux jeux obligés. »
– par Paul De Swaef, pour « Germinal » : « Entre deux séquences, nous avons mangé un cornet de frites avec Jean Harlez, qui nous a dit : ‘Je ne veux pas faire du folklore, je ne veux pas filmer une curiosité. Je montre un quartier pauvre que rien ne distinguera des autres quartiers pauvres du monde’. Et nous nous sommes dit que si un jour le cinéma belge parvient à peindre l’universel, ce sera sûrement grâce à des hommes de cette trempe, qui n’attendent ni subsides ni mécènes pour ‘oser’ faire un bon film. »
Ancienne affiche © « Avila »
Au « Palace », à l’occasion de cette Avant-Première du mardi 08 juillet, comme au temps jadis, un court-métrage – document précieux sur le petit commerce bruxellois des années 1950, également tourné dans les Marolles – de ce même réalisateur, désormais centenaire, sera projeté : « Les Gens du Quartier » (Belgique/1955/14’/film restauré, en 2014, par le « Ciné Nova »).
« Les Gens du Quartier » (Jean Harlez) © « Avila »
Synopsis : « Alors que Bruxelles se prépare à accueillir l’ ‘Exposition universelle’, de 1958, le quartier des Marolles bat son plein, entre nonchalance et traditions. Parmi le rémouleur, la marchande des quatre saisons, la vendeuse d’escargots, le vitrier ambulant ou encore les ‘ketjes’ en quête d’incartades, le vieux marchand de coco vend de la limonade à la réglisse, son bidon sur le dos. Tout s’y passe à cœur ouvert, dans l’accord parfait des tempéraments et d’une certaine philosophie populaire … »
Au sujet de ce court métrage, Marcelle Dumont, la dialoguiste, écrivit : « L’apparition de ces visages marque une étape dans la journée qui se déroule. La rue, rivée de l’odorante marmite d’escargots, la chanson aigüe de la meule, la silhouette du marchand de pommes de terre au crépuscule, serait une vaste horloge sans timbre, une infatigable dévoreuse de minutes, sans saveur. »
Marcelle Dumont, Jean Harlez et leurs enfants (« Un Pavé dans les Marolles »/années ’50)
** Présentation, par « Avila », du réalisateur de ces deux films, Jean Harlez :
Considéré comme « un sauvage du cinéma belge », un « possédé de cinéma », Jean Harlez est un autodidacte qui évolue en marge des milieux professionnels. Fils de forgeron, mécanicien de formation, ses débuts dans le cinéma commencent, dès 1947, comme assistant de Charles Dekeukeleire (1905-1971). Il travaille ensuite pendant des années en tant que caméraman pour Marcel Broodthaers (1924-1976).
Après un passage par le chômage et des petits boulots, Jean Harlez se fabrique une caméra 35mm et réalise un court-métrage sur une coopérative agricole, sans argent, ni soutien d’aucune sorte. Coup de pot, le « Ministère de l’Agriculture » le lui achète. Il peut dès lors réaliser son rêve : tourner un vrai grand film, « Le Chantier des Gosses » étant le fruit de cette aventure.
Première du genre, à Bruxelles, la démarche enthousiasme la presse. Il s’agit sans doute du premier long métrage belge, inspiré par le néo-réalisme. Jean Harlez est un artiste polyvalent : courts & longs métrages, documentaires de ses voyages au Groenland, ayant surtout réalisé, en fin de carrière, des collages-assemblages grandeur nature.

Jean Harlez & Marcelle Dumont © « Avila »
Ces deux films sont vraiment à (re)découvrir, en 2025, afin de (re)voir comment l’on vivait, dans les Marolles, il y a 70 ans …
Yves Calbert.