Pendant des années, elle a fait vibrer les cimes et les vallées avec sa voix puissante et singulière. Styleto, figure bien connue du monde des festivals de montagne et des rassemblements alternatifs, était avant tout une youteuse. Une praticienne moderne de la youte, ce chant traditionnel des Alpes, souvent associé aux bergers suisses et aux soirées au coin du feu. Mais depuis peu, celle qu’on connaissait pour ses envolées vocales dans les alpages se fait un nom dans un tout autre registre : la scène musicale francophone.
En quelques mois, Styleto est parvenue à opérer un virage aussi inattendu que maîtrisé. Son premier album, Ligne de Crête, sorti en début d’année, a reçu un accueil chaleureux du public comme de la critique. Ce disque audacieux, mélange de sonorités électro, de textures organiques et de chants inspirés de traditions vocales oubliées, marque une nouvelle étape dans le parcours artistique de cette voix hors normes.
« La youte m’a appris à respirer avec la terre, à ressentir le souffle du vent dans ma gorge. Je voulais retrouver cette énergie brute, mais dans un cadre musical plus large », confie-t-elle dans une interview accordée à Radio Rando, une station spécialisée dans les musiques du monde.
Cette transition vers la chanson n’est pourtant pas un saut dans l’inconnu. Avant de parcourir les massifs pour chanter en pleine nature, Styleto – de son vrai nom Stella Tournay – avait suivi une formation de chant lyrique au conservatoire de Bruxelles. Mais l’univers académique ne lui convenait pas. « Trop rigide, trop enfermant », dit-elle. Elle choisit alors la liberté, sillonnant les routes avec son sac à dos et sa voix comme seuls bagages.
Ce sont ces années d’errance vocale qui lui ont permis de développer une technique unique, mélange de tradition orale et d’expérimentations personnelles. Une technique qu’elle met aujourd’hui au service de compositions originales, écrites en collaboration avec des producteurs comme Émile Kuster (connu pour son travail avec Fishbach et Voyou).
Sur scène, Styleto impressionne par sa présence magnétique. Mi-chamane, mi-pop star, elle capte l’attention par une interprétation physique, presque rituelle. Son dernier passage aux Nuits Botaniques a marqué les esprits : « Un souffle d’air pur dans une industrie parfois trop formatée », titrait Le Soir au lendemain du concert.
Si certains puristes de la youte regrettent son éloignement du chant traditionnel, beaucoup saluent cette reconversion comme une évolution naturelle et bienvenue. Styleto, elle, refuse d’opposer les mondes : « Ce n’est pas une rupture, c’est une continuité. La montagne est toujours en moi, mais je la chante différemment. »
Une chose est sûre : avec cette mue artistique, Styleto prouve qu’on peut passer des pâturages aux projecteurs sans perdre son authenticité. Et qu’il y a parfois plus de modernité dans un cri venu du fond des âges que dans un tube calibré.