Economie / Bourse

600 % en une semaine, puis la chute : Moore Threads secoue la tech chinoise

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Moore Threads : le “Nvidia chinois” rattrapé par la réalité après une envolée boursière spectaculaire

Moore Threads, longtemps présenté comme l’un des futurs piliers de l’intelligence artificielle en Chine, vient de vivre un sérieux retour sur terre. Après une introduction en Bourse totalement explosive — l’une des plus remarquées de l’année à Shanghai — l’entreprise a dû avertir ses investisseurs d’un risque accru sur son titre, provoquant une brutale correction. Une chute qui en dit long sur la frénésie actuelle autour des puces d’IA… mais aussi sur les tensions stratégiques qui opposent Washington et Pékin dans cette industrie devenue clé.

Vendredi matin, l’action Moore Threads a perdu jusqu’à 19 %, avant de réduire légèrement sa baisse autour de –7,6 %. Le titre reste pourtant l’un des plus impressionnants de la place chinoise, puisqu’il affiche encore plus de 600 % de gains depuis ses débuts la semaine précédente. Une progression fulgurante qui a attiré des milliers d’investisseurs particuliers chinois, souvent en quête des futurs champions technologiques nationaux. Mais selon le communiqué de l’entreprise, cette envolée rapide s’est transformée en une situation risquée : la valorisation a bondi bien plus vite que les fondamentaux.

Car c’est là que le bât blesse : Moore Threads n’a toujours pas généré le moindre revenu significatif avec ses nouvelles puces. L’entreprise fonctionne encore à perte et ses produits, bien que prometteurs selon Pékin, ne sont pas encore commercialement aboutis. Ce contraste entre l’énorme excitation boursière et la réalité opérationnelle a obligé la direction à sonner l’alarme — un geste rare mais courant sur les marchés chinois lorsque les fluctuations deviennent jugées excessives.

Pour rassurer les investisseurs et maintenir le récit de croissance futur, Moore Threads a annoncé qu’elle dévoilera une nouvelle génération de son architecture GPU les 19 et 20 décembre lors d’une grande conférence à Pékin. Ces nouveaux GPU doivent constituer le cœur des serveurs d’intelligence artificielle chinois, un segment dominé aujourd’hui par Nvidia sur le marché mondial. Leur présentation devrait être scrutée de près par le secteur technologique et par le gouvernement chinois, qui pousse fortement ses entreprises locales à réduire leur dépendance aux technologies américaines.

Si l’action Moore Threads a décollé aussi vite, c’est précisément parce qu’elle s’inscrit dans la volonté affirmée de Pékin de bâtir une chaîne d’approvisionnement totalement nationale en matière de semi-conducteurs — un enjeu jugé stratégique dans le contexte des restrictions américaines. Moore Threads fait partie d’un groupe d’acteurs technologiques appelés à devenir des piliers de cette autonomie technologique, aux côtés de Huawei, Xiaomi et Cambricon. Ces entreprises cherchent toutes à produire des puces d’IA capables de rivaliser avec Nvidia, devenu en quelques années un géant quasi intouchable grâce à ses GPU ultra-performants.

Mais la scène internationale vient perturber cette dynamique. Au cours de la semaine, le président américain Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait autoriser Nvidia à vendre à nouveau une puce d’IA plus avancée sur le marché chinois, ce qui représenterait un changement majeur dans la politique américaine. Un geste qui pourrait redonner de l’air à Nvidia en Chine, même si les restrictions de Washington et les résistances de Pékin compliqueraient encore l’équation.

Car, malgré ces déclarations, les rapports venant de Chine indiquent que Pékin reste déterminé à réduire au maximum la présence des puces Nvidia dans les infrastructures nationales. Les autorités privilégient systématiquement des alternatives locales, même si celles-ci sont encore loin d’égaler les performances des puces américaines les plus avancées. Cette préférence politique et stratégique pour les semi-conducteurs “Made in China” joue directement en faveur de Moore Threads et de ses concurrents locaux.

Cependant, les déclarations américaines ont déjà suffi à secouer le marché entier des fabricants de puces chinois. Plusieurs actions du secteur ont plongé, entraînées par un vent d’incertitude. Semiconductor Manufacturing International Corp (SMIC), le plus grand fabricant de puces de Chine en termes de volumes, a perdu 3,6 % cette semaine. Cette nervosité montre à quel point le secteur demeure vulnérable aux annonces politiques, et à quel point les investisseurs tentent d’anticiper les futures décisions de Washington comme de Pékin.

L’épisode Moore Threads met en lumière un phénomène plus large : l’immense spéculation autour du marché de l’intelligence artificielle. Depuis deux ans, les entreprises liées aux GPU, aux serveurs IA, au cloud ou à la robotique ont vu leurs valorisations exploser. L’IA est devenue l’un des moteurs majeurs de la Bourse mondiale. Des acteurs comme Nvidia, Super Micro Computer ou encore AppLovin ont multiplié les records, tandis que des investisseurs particuliers se ruent désormais sur tout ce qui touche de près ou de loin à ce secteur.

En Chine, cette dynamique est encore amplifiée par la volonté du pays de rattraper son retard technologique et de prouver qu’il peut produire des alternatives crédibles aux géants américains. Les investisseurs locaux soutiennent massivement les entreprises considérées comme des champions nationaux, parfois au détriment d’une évaluation prudente des risques. Moore Threads n’est pas la première société chinoise à voir son action s’envoler puis corriger violemment après un avertissement.

En définitive, la chute du titre rappelle que, malgré l’enthousiasme autour de l’IA, les entreprises doivent encore démontrer leur capacité réelle à produire des puces performantes, à générer des revenus et à tenir la concurrence internationale. La conférence de décembre sera cruciale pour la crédibilité de Moore Threads : ses nouvelles architectures GPU doivent convaincre, ou l’entreprise pourrait devenir un symbole de surchauffe technologique plutôt qu’un rival solide de Nvidia.

Pour l’instant, la correction sert surtout de rappel : dans la course mondiale à l’IA, l’euphorie des investisseurs ne suffit pas. Ce sont les résultats technologiques concrets qui feront la différence — et Moore Threads a maintenant la lourde tâche de prouver qu’elle peut réellement porter les ambitions de la Chine dans les semi-conducteurs.