« Avoir dans une ‘cabane’ des Rêves d’Empereur » (Jules Renard/1864-1910).
Qui n’a jamais construit de « cabane » ou rêvé de la vie libre, dont elle est la promesse ?
Pour l’enfant la « cabane » est l’espace de jeux et de fictions ; pour l’adulte, elle est une occasion de mise en retrait momentané du quotidien et de la frénésie ; pour la personne migrante ou sans abri, elle est le nécessaire refuge : pour l’idéaliste, encore, elle est l’instrument de résistance et de lutte. Ambivalente, elle incarne, tour à tour, le lieu de réconfort et celui d’une confrontation, parfois confuse et douloureuse , au monde.
En réinvestissant le motif populaire de la « cabane », les artistes contemporains nous invitent à en réinterroger les fonctions et l’imaginaire. Cette expo veut témoigner de la richesse de ce thème et de sa fécondité pour la création plastique.
23 artistes belges et internationaux nous proposent plus de 30 œuvres (installations, photographies, sculptures & vidéos, sur un thème universel, celui de la « cabane », une exposition s’étendant, à Namur, sur deux étages de l’ « Espace culturel provincial Le Delta », jusqu’au dimanche 20 juillet, à 18h.
« C’est l’idée d’un retour à une vie plus simple et moins complexe », nous confiait, lors de la visite de presse, la Commissaire , Anaël Lejeune, soulignant à quel point ce sujet est rarement abordé, malgré la tendance croissante aux « tiny houses » (« très petites maisons »).
Elle ajouta : « Il y a quelques années, en voyant mes filles construire une ‘cabane’, je me suis rendu compte que ce phénomène était très répandu durant le confinement. » De fait, pour les enfant, c’était une façon de pouvoir s’évader, … tout en devant rester à la maison, … ou dans son jardin …
« Una Stanza bianco Perla » © Nathalie du Pasquier/2018 © Photo : Xavier Dardenne
Avec l’artiste française Nathalie du Pasquier (°Bordeaux/1957) – lauréate, en 2024, du premier Prix « BNP Paribas » à « Art Paris », au « Grand Palais » -, face à une de ses huiles sur toile, nous nous trouvons devant une huile sur panneaux en trois dimensions, sa « cabane », intitulée « Una Stanza bianco Perla » (« Une Chambre blanc Perle »/2018), d’apparence joyeuse et ludique, étant peinte à l’huile sur ses 4 faces, extérieures et intérieures, nous présentant des motifs colorés et lisses, se tenant à la frontière entre figuration et abstraction, oscillant entre la planéité et le volume.
Sans être une oeuvre d’art, l’objet ne cesse de fasciner. Érigées dans une pièce de la maison à l’aide de draps ; avec des branchages, au fond d’un bois ; ou au moyen de cartons, dans la ville, les « cabanes » parsèment notre environnement.

« Mon beau Tambour », suspendu sous le « Tambour » © Adrien Tirtiaux/2025 © Ph. : Xavier Dardenne
Avant même d’entrer au « Delta », levons les yeux et nous découvrons une « cabane », suspendue sous l’architecture du « Tambour » (bâtiment annexe, inauguré en 2019) ce qui justifie l’intitulé de l’oeuvre d’Adrien Tirtiaux (°1980), créée pour la présente exposition : « Mon beau Tambour » (2025).

« Maison sac à dos ou Habit(acle) » © Chalisée Naamani © Ph. : Xavier Dardenne
Parmi les « cabanes » exposées, notons la présence d’une habitation en plastique – « Maison sac à dos ou Habit(acle) » (2020) – pour enfants, créée par l’artiste franco-iranienne Chalisée Naamani, qui aime utiliser des textiles, en interaction humaine avec l’environnement.
Quel garçon, dans son enfance, jouant aux Cow Boys et aux Indiens, n’a pas installé un « tipi » amérindien dans le jardin familial, idée ayant inspiré l’architecte-lithographe liégeois Michel Leonardi (°Liège/1951), créateur d’un « Tipi chromatique » (2025), lui qui créa, en 1979, un atelier lithographique , plusieurs de ses lithographies faisant partie de la collection permanente du « Centre de la Gravure et des Images imprimées », à La Louvière ?
Avec quelques chaises et tissus rapiécés, Marianne Berenhaut (°Bruxelles/1934) a créé une ‘cabane’ fragile (à gauche sur la photo), image forte et troublante d’une artiste qui, en 1942, vit ses parents et son frère aîné partir à jamais pour Auschwitz, tandis qu’elle échappait à la déportation avec son frère jumeau, en étant cachés dans un orphelinat. Un retour à Namur pour cette artiste qui, en 2008, avait créé une installation de 49 poupées, assises sur des chaises, dans l’église Saint-Loup.
De son côté l’artiste italien Christian Fogarolli (°Trento/1983) nous dévoile (à droite sur la photo) « The Value of Absence » (« La Valeur de l’Absence »/2019), une oeuvre créée pour le « Musée Dr. Guislain », à Gent, sa création, cernée de miroirs, évoque le lien que nous entretenons avec l’altérité, l’autre, la différence, que notre société préfère enfermer dans un espace de vie rétréci, une chambre, une cellule.

De la série « Migrants » © Province de Namur © Photo : Mathieu Pernot
Espérons que ces enfants puissent grandir paisiblement, sans avoir à souffrir, adulte, d’une vie sur la rue, comme évoquée, dans l’exposition, par une photo de la série « Migrants » (2009), prise par Mathieu Pernot, nous dévoilant un sac de couchage habité, posé, en pleine ville, sur quelques cartons.

Philippe Graton et la « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes © Ph. : « Musée de la Photographie »/2018
Autres photos, celles réalisées par Philippe Graton (°Uccle/1961), le fils du bien connu créateur de la BD « Michel Vaillant », Jean Graton (1923-2021), qui, après avoir quelque peu continué l’oeuvre de son père, a choisi de vivre au contact de la « ZAD » (« Zone à Défendre ») de Notre-Dame-des-Landes, dont il a photographié les « Cabanes de Combat » (2014), qu’il exposa, en 2018-2019, au « Musée de la Photographie » de Mont-sur-Marchienne, nous dévoilant, bien loin des circuits automobiles, chers à Jean Graton, et de leur luxueuse ambiance, un univers particulier, celui de l’expérience marginale d’une population qui refusait la construction, sur leur sol, d’un aérodrome, souhaitant un rythme d’existence davantage en accord avec la loi de la nature.

« The Shed » © Gregory Crewdson
Toujours dans le domaine photographique, notons la sombre atmosphère de « The Shed » (« Le Hangar »/2013), une œuvre grand format du photographe américain Gregory Crewdson (°New York/ 1962), représentant une jeune femme peu vêtue, maculée de boue, que nous apercevons à travers l’encadrement d’une porte, depuis l’intérieur d’une ‘ « cabane » délabrée, édifiée en bois. Cette image réaliste capture une existence étrange et inquiétante, nous rappelant la tradition des contes de fées européens (« Le petit Chaperon rouge », « Hansel & Gretel », « Le petit Poucet », ...), qui abordent la peur qui peut accompagner la découverte de la vie adulte & de la sexualité.
« Tôle ondulée (Moké) » © Walter Swennen © Photo : D.R.
Dans son huile sur toile « Tôle Ondulée (Moké) » (2000), dédiée à l’artiste congolais Moké (Mosengwo Kejwamfi/1950 -2001), l’artiste belge Walter Swennen (°Forest/1946) semble faire flotter dans le vide une fragile « cabane ».
« Cascade, Cabane en cascade » (2023), l’oeuvre murale de Jacqueline Mesmaeker (1929-2023) nous présente des mots en cascade formant le mot « cabane », tirés de livres d’auteurs classiques, tel Lewis Carroll (1832-1898). La seconde oeuvre de la regrettée artiste belge est son film Super 8 numérisé, en noir et blanc « La Fée dans la Guérite » (1991-2015/38″, en boucle), qui nous montre son petit-fils courant autour d’un pavillon dans un parc.
Oeuvre insolite, en fond de salle, que cette serre fermée, remplie de végétation exotique – « Naturelle Katastrof » (2022) – , attirant notre attention avec ses émanations sporadiques de fumée, céée par l’artiste belge Raphaël Decoster (°Roubaix/1988), illustrant son intérêt pour la nature, condamnée à faire face à l’urbanisation croissante.
Les campements de migrants, à Calais, dans l’attente d’une périlleuse traversée de la Manche, sont au cœur du documentaire « Jungles » (2008), réalisé par le photojournaliste suisse Jean Revillard (1965-2019), soulignant, délibérément, l’échec cuisant de la politique migratoire, tout en traitant ce douloureux sujet avec une réelle esthétique.
Loin de la réalisation nostalgique d’un fantasme enfantin, il s’agit d’une exposition opportune d’art contemporain, explorant un aspect rarement exploré de la vie humaine, la « cabane » pouvant être une source de réconfort ou un lieu de confrontation douloureuse avec notre société.

Reconstitution (2025) de la « Microhouse » (Ken Isaacs/1972) © Ph. : Xavier Dardenne
N’hésitons pas de terminer notre visite, en nous rendant sur l’accueillante terrasse panoramique du « Delta », où une installation rétro – « Microhouse » (2023) – de Ken Isaacs (1927-2016), montée par le personnel du « Delta », prête à nous y accueillir, enfants comme adultes, sans limite d’âges, la copie de cette oeuvre nous rappelant le travail pionnier et visionnaire du regretté designer américain, remettant en question la propriété immobilière.
Artistes exposés : Atelier Van Lieshout, Karim Ben Amor, James Benning, Marianne Berenhaut, Gregory Crewdson , Raphaël Decoster, Nathalie Du Pasquier, Christian Fogarolli, Hreinn Fridfinnsson , Ryan Gander, Philippe Graton, Ken Isaacs, Michel Leonardi, Jacqueline Mesmaeker, Guy Moreton, Chalisée Naamani, Sophie Nys, Mathieu Pernot , Joanna Piotrowska, Walter Swennen, Adrien Tirtiauxt & Pierre Toby.
… Et pour former, qui sait, de nouveaux artistes, un espace participatif est offert à toutes & tous, de 03 à 99 ans, chacun.e pouvant construire sa « cabane », des lamelles en bois, des connecteurs & des pièces de tissus étant disponibles, des livres pour enfants, sur les « cabanes » pouvant être consultés.
Soulignons l’édition d’un intéressant catalogue (128 p./25€) conçu graphiquement par le « Studio Otamendi », nous proposant une notice circonstanciée sur le travail de chaque artiste, cet ouvrage incluant, également, cinq essais critiques :
- texte introductif d’Anaël Lejeune, commissaire de l’exposition ;
- texte de David Malaud, théoricien français de l’architecture, qui aborde la question de la ‘cabane’, sous la perspective de l’architecture & du jeu ;
- texte du psychiatre belge François-Xavier Polis, qui discute de la fonction de la cabane dans le développement des jeunes enfants et dans leur imaginaire ;
- texte de l’historien français de l’architecture Thomas Renard, qui retrace la place de la ‘cabane’ dans l’histoire de l’architecture, depuis les traités antiques de Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio/1er siècle avant notre ère) jusqu’ aux créations de Jean Prouvé (1901-1984) ou Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret-Gris/1887-1965) ;
- texte du philosophe français Gilles A. Tiberghien (°1953), spécialiste du « Land Art », qui aborde la question de la ‘cabane’ comme lieu de retraite philosophique.
Enfin, ce catalogue comprend une large section iconographique, composée d’une cinquantaine d’images et légendes, qui prolongent la réflexion autour du motif de la ‘cabane’, de ses fonctions et de son imaginaire.
Ouverture : jusqu’au dimanche 20 juillet (billetterie fermée à 17h), du mardi au vendredi, de 11h à 18h, le samedi et le dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 5€ (3€, pour les détenteurs du « Pass Delta » / 0€, pour les moins de 12 ans & pour tous, ce dimanche 06 juillet. Catalogue (128 p.) : 25€. Contacts : 081.77.67.73 & info@ledelta.be. Site web : https://www.ledelta.be/.
*** Espace muséal :
De l’exposition temporaire, nous avons accès, sans supplément de prix, à l’ « Espace muséal » du « Delta », qui nous propose, jusqu’au 17 août, son accrochage temporaire « Par des Traits », avec, à l’occasion des 40 ans du décès du poète et plasticien namurois Henri Michaux (1899-1984), une sélection de ses créations, dont 12 eaux-fortes de son coffret « Parcours », ainsi que des oeuvres, oscillant entre peinture/dessin et écriture, d’Évelyne Axell (1935-1972), Delphine Deguislage (°Namur/1980), Jules Lismonde (1908-2001), Sophie Podolski (1953-1974), Tomaso Binga (Bianca Pucciarelli/°Salerne/1931), Mimi Smith (Mary Elizabeth Stanley/1906-1991), Betty Thompkins (°Washington/1945) & « Chryssa » (Chrýssa Vardéa-Mavromichál/1933-2013).
*** Stages dans le cadre de l’exposition :
- du lundi 07 jusqu’au vendredi 11 juillet :
– Techniques mixtes – L’intime et l’espace collectif : Comment concevoir collectivement un espace imaginaire, mêlant art et quotidien, où chaque objet raconte une histoire intime ? Encadré par l’artiste Hélène Drénou, il invite à explorer les liens entre habitation, exposition et création à travers la céramique, la décoration & la scénographie.
– Textile – Habiter le fil : Ce stage nous propose d’explorer l’univers de la « cabane » à travers des pratiques textiles variées, en créant des matières et formes mêlant texture, couleur et expérimentation. Guidé par la plasticienne Amandine Lamand, il offre un espace de création libre et collective, où chaque geste construit une architecture textile sensible et personnelle.
- du lundi 14 jusqu’au vendredi 18 juillet :
– Peinture à l’huile sur bois – « Cabanes imaginaires » (à partir de 18 ans) : Ce stage d’initiation à la peinture à l’huile – animé par Sarah Defat (diplômée de l’ « Académie royale des Beaux-Arts » de Bruxelles, enseignante à l’ « EMAP » {« Ecole des Métiers d’Art de la Province de Namur » }) – nous propose d’explorer les jeux de flou, de transparence et de profondeur pour créer de petites œuvres. Ainsi, à travers la peinture à l’huile, chaque participant.e sera invité.e à symboliser sa présence dans une « cabane » imaginaire.
– Papier (à partir de 16 ans) : Ce stage -mené par la plasticienne Christine Keyeux nous invite à explorer les multiples possibilités créatives du papier, à travers des techniques variées comme le moulage, le pliage ou le tressage. Chaque participant.e pourra créer librement des bijoux, objets divers ou œuvres abstraites, en transformant ce matériau en un refuge poétique et personnel.
*** Stage de Danse « We.lab », du lundi 07 jusqu’au vendredi 11 juillet :
Ce stage nous invite à explorer le mouvement sous toutes ses formes, en développant la conscience du corps, l’expression émotionnelle et la connexion au collectif, à travers des exercices créatifs. Encadré par le « Collectif 3PTYK », il propose une expérience accessible à toutes & tous, conclue par une présentation publique d’une création collective.
Prix des stages (suivant les âges et la durée) : maximum 125€.
La participation financière ne devant en aucun cas constituer un obstacle pour s’inscrire à ces stages, des réductions sont octroyées pour :
– les étudiant.e.s âgé.e.s de 16 à 26 ans et les personnes sans emploi : tarif plein – 40 %.
– les bénéficiaires de l’ « Article 27 » : 1,25 €, par demi-jour de stage.
Informations & inscriptions : 081/77.67.73 & mediation@ledelta.be.
*** « Vivant et en devenir » :
A noter, la présence, dans la Salle « 7è Ciel » (dernier étage) du « Delta », de l’exposition-vente (entrée libre) « Vivant et en devenir », organisée par le « Ceramic Art Andenne » & le Service de la Culture de la Province de Namur, les oeuvres présentées ayant été réalisées par des artistes nous venant d’Allemagne, d’Autriche, de Corée du Sud, du Danemark, des Etats-Unis, de Finlande, de France, d’Italie, du Japon, de Norvège, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de Suède & de Belgique.
Accessible jusqu’au dimanche 17 août, cette exposition a le support de nombre de Galeries d’Art de 4 pays : « Hostler Burrows/HB381 Gallery » (New York), « Mindy Solomon Gallery » (Miami), « Florian Daguet-Bresson » (Paris), « Galerie Papillon » (Paris), « Galerie Maria Lund » (Paris), « Galerie NeC » (Paris), « Kunstforum Solothurn » (Soleure/Suisse) & « Sorry We’re Closed » (Bruxelles).
« Les œuvres d’art sélectionnées agissent comme des guides pour explorer sa propre conscience. Elles nous révèlent des pensées, des considérations et des perceptions profondes, nous offrant de nouvelles perspectives sur la figuration, les arts plastiques et les arts visuels, souvent à travers des formes abstraites. »
Yves Calbert.